𝗝𝗼𝗲̈𝗹 𝗥𝘂𝗯𝗶𝗻𝗳𝗲𝗹𝗱: 𝗘𝗻 𝗕𝗲𝗹𝗴𝗶𝗾𝘂𝗲, “𝗹𝗲𝘀 𝗝𝘂𝗶𝗳𝘀 𝗱𝗼𝗶𝘃𝗲𝗻𝘁 𝗮̀ 𝗻𝗼𝘂𝘃𝗲𝗮𝘂 𝘀𝗲 𝗰𝗮𝗰𝗵𝗲𝗿”
Président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, Joël Rubinfeld s'inquiète du sort de la petite communauté juive de Belgique (à peine 30.000 personnes), à l'heure où l'antisémitisme s'est banalisé et est même devenu routinier. Ce fils de rescapés de la Shoah a voulu publier cette tribune pour rendre hommage aux “Justes de notre temps” dans la presse belge, mais elle a été refusée par tous les journaux. Marianne la publie (https://marianne.net/.../joel-rubinfeld-en-belgique-les...). Parmi les Justes ainsi remerciés figure notre chroniqueuse Nadia Geerts.
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En période tourmentée, l’esseulement des Juifs est une constante de l’histoire — une histoire dont le 7 octobre ouvre un nouveau chapitre. Mais les croire abandonnés de tous serait inexact.
Lors de l’affaire Dreyfus, une poignée de dreyfusards se sont mobilisés pour défendre le capitaine juif, injustement condamné pour trahison. Durant la Seconde Guerre mondiale, des Justes parmi les Nations ont sauvé des Juifs au péril de leur propre vie. Avec ses 1.834 Justes, la Belgique occupe la deuxième place per capita au panthéon de l’humanité, derrière les Pays-Bas.
Ils furent cependant peu nombreux à monter au feu, ces femmes et hommes d’honneur que l’histoire ne saluera qu’une fois les braises éteintes. Pourtant, si l’on faisait aujourd’hui un micro-trottoir, la plupart diraient sans doute, avec sincérité: “J’aurais été dreyfusard à la fin du XIXe siècle, résistant en 1940, et j’aurais caché des Juifs en 1942”.
Mais mesurent-ils vraiment ce qu’implique un tel engagement, à l’épreuve du feu?
À l’épreuve du feu, cela se traduit par un procès aux assises contre Émile Zola, poursuivi par le gouvernement français pour avoir, le 13 janvier 1898, publié son “J’accuse!”. Un procès dans un climat de grande violence, qui résonne singulièrement avec l’actualité: les antidreyfusards investissent les rues de la capitale par milliers, éructent des “Mort aux Juifs!” et “À mort Zola!”, brisent les vitrines de commerces juifs, et conspuent, boycottent et menacent Zola — la police doit l’escorter à chaque sortie d’audience pour assurer sa sécurité. Un procès à l’issue duquel Zola est condamné à un an de prison ferme — la peine maximale. Le plus célèbre des dreyfusards échappera finalement aux geôles de la République en s’exilant à Londres.
À l’épreuve du feu, cela signifie le sacrifice de 4.000 résistants belges — exécutés ou tombés l’arme à la main pendant la Seconde Guerre mondiale — et l’arrestation de plus de 30.000 d’entre eux par l’occupant allemand. Les archives de Yad Vashem, elles, témoignent de centaines de cas en Europe de Justes torturés, fusillés, pendus ou morts en déportation dans les camps nazis.
Être du bon côté de l’histoire ne se décrète pas: cela se gagne dans la fournaise du réel. Et le spectacle affligeant auquel nous assistons depuis le 7 octobre 2023, nous oblige au constat suivant: l’histoire bégaie.
Mutatis mutandis, c’est aujourd’hui l’État juif qui remplace le capitaine juif sur le banc des accusés. Transféré de Paris à La Haye, le tribunal est désormais planétaire. Les innombrables fake news du “ministère de la Santé de Gaza” — c’est-à-dire le Hamas — sont les bordereaux accusateurs du moment, forgés par des faussaires de l’actualité et docilement relayés par les agences de presse internationales et la plupart des médias. Autant de pièces à charge brandies comme munitions par des procureurs onusiens et droits-de-l’hommistes qui, troquant la toge pour le keffieh, s’alignent sur le banc du ministère public pour juger celui qu’ils ont déjà condamné.
En Belgique, les Juifs ne sont pas non plus épargnés.
À Bruxelles, on s’autoproclame “ville antifasciste” tout en y tolérant les fascistes antisionistes qui, chaque jour qui passe depuis le 11 octobre 2023, manifestent rageusement dans la capitale de l’Europe. On célèbre en place publique le premier anniversaire des pogroms du 7 octobre en appelant à “brûler les Juifs”. On profane le Monument des Justes et les Pavés de mémoire, au nom de Gaza. On occupe un bâtiment de l’Université libre de Bruxelles rebaptisé du nom d’un terroriste palestinien, on saccage les lieux, et on tabasse le coprésident de l’Union des étudiants juifs de Belgique sur le campus de l’université. On interdit la venue de l’équipe de football israélienne pour y disputer le match l’opposant aux Diables rouges. On refuse dans certaines écoles, sous la pression de parents d'élèves, de participer à la commémoration de la Shoah. On déploie le drapeau palestinien au balcon de mairies de la capitale, et on le hisse sur le toit du siège du Parti socialiste. On fait danser, lors de la kermesse scolaire, des écoliers de neuf ans tout de noir vêtus et coiffés d’un keffieh, au rythme martial de la chanson arabe “Mon sang est palestinien” — une mise en scène glaçante qui rappelle les images des “camps scouts” du Hamas à Gaza.
À Anvers, on insulte, on caillasse et on violente des Juifs religieux dans la rue. On refuse de louer une salle à une école juive pour sa cérémonie de remise des diplômes, excipant d’un “génocide qui se déroule actuellement à Gaza”. On affiche “5 JUIFS” sur l’écran d’accueil du bowling où sont venus se divertir cinq jeunes juifs. On perquisitionne le domicile de rabbins pratiquant la circoncision, on saisit les instruments leur permettant de pratiquer cette tradition juive trimillénaire, et on exige qu’ils remettent aux autorités judiciaires la liste des enfants circoncis ces dernières années. On se donne rendez-vous le 9 novembre — jour commémoratif de la Nuit de Cristal — dans un parc notoirement fréquenté par des familles juives, pour y “mutiler chaque sioniste”.
À Gand, on vote le boycott d’entreprises de l’État juif et on exhorte les autorités fédérales à en faire de même. On bannit les athlètes israéliens du championnat d’Europe d’Ultimate Frisbee pour les moins de 17 ans. On annule la cérémonie officielle commémorant la Kristallnacht par crainte d'incidents. On occupe le campus de l’Université de Gand, on agresse des membres du personnel, et l’on célèbre la rupture des relations avec les universités israéliennes — une rupture qui consacre la capitulation des autorités académiques. On acquitte le chroniqueur qui, dans les colonnes d’un des principaux hebdomadaires du pays, confesse son “envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif [qu’il] rencontre”.
Dans le royaume, des cimetières juifs sont profanés, des tombes couvertes de croix gammées et des étoiles de David arrachées de leurs sépultures, tandis que des hordes d’antisémites contemporains battent le pavé des métropoles en vociférant le slogan 2.0 de la Solution finale et en glorifiant les protagonistes des pogroms du 7 octobre. Depuis, les actes antisémites se comptent par centaines.
Résultat: les Belges juifs doivent à nouveau se cacher. Ils changent de nom sur leur compte Uber, retirent la mezouza du chambranle de leur porte, couvrent leur kippa d’une casquette, boutonnent pudiquement le haut de leur chemise pour masquer l’étoile de David qu’ils portent au cou. Au siècle dernier, on collait une étoile jaune sur la poitrine des Juifs pour les reconnaître. Aujourd’hui, les Juifs dissimulent leur étoile pour ne pas être reconnus.
Ce qui se passe en Belgique parle pour la plupart des nations occidentales où, aujourd’hui comme hier, les résistants se font rares tandis que les collabos de notre temps prolifèrent dans la sphère politique, les salles de rédaction, les instances judiciaires, le monde académique, les milieux artistiques, les cercles associatifs, et jusque dans nos rues où les manifestations dites “pro-palestiniennes” — “pro-Hamas” serait plus conforme à la réalité — rappellent de plus en plus les marches des SA à Nuremberg.
“Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve”, disait le philosophe Friedrich Hölderlin.
Dans l’expectative, je tiens à rendre hommage à quelques-uns de mes compatriotes ou résidents belges qui, à l’image de Zola et des Justes, ne sont pas juifs et comptent parmi les sauveurs: Lucas Ablotia, Clémentine Barzin, Georges-Louis Bouchez, Maarten Boudry, André Brombart, Yves Caelen, Anne Cremer, Georges Dallemagne, Nicolas de Pape, Corentin de Salle, Alain Destexhe, Boris Dilliès, Mia Doornaert, Denis Ducarme, Étienne Dujardin, Charlie Dupont, Samuel Furfari, Nadia Geerts, Drieu Godefridi, Luc Henrist, Merry Hermanus, Assita Kanko, Philippe Lamair, Fadila Maaroufi, Jean-Pierre Martin, Éric Muraille, Jean Quatremer, François Roelants du Vivier, Darya Safai, Ismaël Saidi, Marcel Sel, Sam Touzani, David Vandeputte et Alexandra Villers.
Une liste non exhaustive des voisins que j’aurais voulus pour mon père quand il avait 13 ans, à Bruxelles, en 1942.
Lucas Ablotia Clémentine Barzin Georges-Louis Bouchez Maarten Boudry Fiodor Idioatt Georges Dallemagne Nicolas de Pape Corentin de Salle Alain Destexhe Boris Dilliès Mia Doornaert Denis Ducarme Etienne Dujardin Charlie Dupont Samuel Furfari Nadia Geerts Drieu Godefridi Luc Henrist Merry Hermanus Assita Kanko Philippe Lamair Fadila Maaroufi Jean-Pierre Martin Eric Mrl Jean Quatremer François Roelants du Vivier Darya Safai Ismaël Saidi Marcel Sel Sam Touzani David Vandeputte